"Le socialisme néomoderne" par Jacques Généreux

Publié le par Tarbes à gauche

TAG ouvre une nouvelle rubrique consacrée aux publications d'ouvrages, articles... qui contribuent au débat sur l'avenir de la gauche. Le premier livre que l'on vous conseille est celui d'un économiste, Jacques Généreux:

 
Le culte de l’individu autoconstruit et la mondialisation du capitalisme libéral n’ont pas accompli la promesse moderne de l’émancipation. Elles ont juste défait les liens sociaux, sans lesquels aucune liberté ne peut grandir. L’hyper-libéralisme engendre une dissociété violente et désordonnée. Et face aux désordres, les nouveaux « libéraux » organisent le retour vers un ordre pré-moderne, mélange de répression policière, d’intégrisme religieux, de contrôle communautaire et d’abrutissement dans le travail.

Le défi politique du XXIe siècle est de penser un ordre social qui n’effacerait pas trois siècles d’émancipation. Il nous faut abandonner l’illusion d’une construction libérale de la société pour engager la construction sociale de la liberté. Or, tel a toujours été l’essence du projet socialiste, de Leroux à Blum, en passant par Marx et Jaurès. Les multiples dévoiements de ce projet ne le disqualifient pas ; ils exigent sa refondation néomoderne : une nouvelle modernité dont les principes politiques ne découlent plus du mythe moderne de l’individu autonome, mais de la réalité anthropologique de l’être social.

À la lumière des sciences humaines, et à l’opposé d’une gauche « moderne » qui s’attarde à courir derrière des idées libérales dépassées, l’auteur dessine un socialisme qui dépasse la modernité pour en accomplir la promesse, qui offre un nouvel avenir à la liberté.



Jacques Généreux,
auteur d’une vingtaine d’ouvrages, est professeur à Sciences Po. Membre du Parti socialiste (et de son Conseil national) jusqu’en 2008, il l’a quitté pour participer à la fondation du Parti de gauche, dont il est aujourd’hui le Secrétaire national à l’économie.

Cet ouvrage est le deuxième opus d’une refondation anthropologique de la philosophie politique inaugurée par La Dissociété (Seuil, 2006), dont la nouvelle édition revue et augmentée est parue en poche en 2008 (coll.Points-Essais


Voici un extrait. chap.1.

(…)

 
Durant ces trois siècles derniers, le renversement libéral du monde s’est efforcé de construire une société harmonieuse par l’expansion des libertés individuelles et de la production. Cette méthode était fondée sur une erreur anthropologique, puisqu’en réalité ce sont l'intensification et la diversifivation des liens sociaux qui construisent la liberté d'un être singulier, et ce sont ces liens, et non les biens, qui permettent à chacun de grandir. Certes, tout comme de fausses théories astronomiques ont longtemps conduit les navires à bon port, cette erreur a durablement permis l’arrachement de l’individu à l’obscurantisme, le recul du despotisme, le progrès des connaissances et l’essor de la démocratie que nul ne saurait contester ou regretter. Mais, dès lors que cette voie patine dans l’impasse fabriquée par son succès même, face à l’échec du libéralisme, face à l’impossibilité de vivre libres et ensemble sans morale et sans liens, face à l’impossibilité de consommer toujours plus, le temps est venu de corriger l’erreur moderne pour sauver l’acquis de la modernité et pour conjurer la tentation d’une grande régression.

 

Le temps est venu de renverser la perspective moderne, d’offrir à la liberté un nouvel avenir en reprenant la quête d’une construction sociale de la liberté.

 

Le renversement socialiste

 

Une construction sociale de la liberté. Telle a précisément été l’essence originelle du projet socialiste, de Leroux à Blum, en passant par Marx et Jaurès, à savoir: s’appuyer sur les liens sociaux, la communauté politique et l’action collective pour construire la liberté des individus.

 

Il nous faudra ici dissiper un contresens fréquent sur le rapport entre le socialisme et le libéralisme. Le libéralisme n’est pas la doctrine ou la politique qui vise la liberté en négligeant la cohésion sociale, la justice et le bien commun. Le socialisme n’est pas, à l’inverse, la doctrine ou la politique qui vise une société juste et solidaire en restreignant la liberté individuelle. Ces préjugés courants énoncent à peu près le contraire de ce qui constitue la vraie nature des deux philosophies politiques en question. Les diverses branches du libéralisme ont toujours visé le bien commun et/ou la justice, tout en pensant que le meilleur moyen de les promouvoir consistait le plus souvent à laisser libre cours à l’initiative individuelle. Il s’agit donc bien, pour les libéraux, de construire la bonne société par la liberté.

 

De son côté, le socialisme, héritier de la philosophie des Lumières et du libéralisme, reconnaît les progrès accomplis grâce aux libertés politiques et aux droits de l’homme, mais constate l’incapacité de la méthode libérale à accomplir la promesse faite à tous les hommes d’une égale et réelle liberté de mener leur vie. Parce que le droit libéral s’arrête aux portes des entreprises et livre les échanges à la concurrence entre des acteurs inégaux, la société libérale instaure l’inégale liberté, la domination des plus forts et des plus riches, l’aliénation des travailleurs à la merci des détenteurs des moyens de production. Le socialisme n’entend donc pas abolir purement et simplement le libéralisme. Il entend accomplir la promesse bafouée de la Révolution française, celle d’une égale liberté pour tous, en construisant une société solidaire et démocratique, non comme fin en soi, mais comme instrument d’une émancipation complète de l’humanité. Il s'agit, pour les socialistes, de construire la liberté par la bonne société.

 

En cela, le socialisme des origines est, dès le milieu du xixe siècle, l’ébauche d’un dépassement de la modernité. Plus précisément, le socialisme démocratique et républicain français, avant sa conversion tactique au marxisme tronqué des guesdistes, a constitué l’amorce d’une pensée néomoderne susceptible d’accomplir la promesse moderne de l’émancipation en remettant à l’endroit le rapport entre individus et société. C’est ce retournement de perspective que j’appellerai le «renversement socialiste»: il ne s’agit plus, comme le croyaient les libéraux, de construire la société par la liberté des individus, mais de construire la liberté réelle de tous les individus par la transformation de la société; l’émancipation ne surgira pas de la simple destruction des liens sociaux anciens, livrant les individus à la fausse liberté de la compétition des intérêts privés; elle progressera grâce au remplacement de ces liens qui aliènent par les liens qui libèrent (les droits sociaux, la fraternité, la solidarité, la libre association). Ce renversement de la pensée, que l’on peut situer au carrefour des années 1830 et des années 1840, a près d’un siècle et demi d’avance sur les découvertes scientifiques qui permettent aujourd’hui de fonder le socialisme méthodologique sur des connaissances et non plus seulement sur des intuitions. Ce «vieux» socialisme est plus que moderne, il est déjà néomoderne, cent cinquante ans avant les premiers émois intellectuels sur les impasses de la modernité; il est, à ce jour encore, en avance sur les «modernisateurs» qui ne savent toujours rien de la science moderne.

 

… À suivre …

Publié dans Pour une autre gauche

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
N'importe qui entre à Sciences-Po, je vous ne le fais pas dire! Vous prêchez donc aussi l'excellence et la méritocratie pour remédier à ce lamentable état de fait? Dites-moi, ça fait deux sujets sur lesquels on est d'accord en 5 minutes, bientôt vous adhérez au RDN, c'est P. qui va être content!
Répondre
P
vos commentaires son également ridicules et stupides !<br /> après peronito, voilà le 2e illuminé du rdn !<br /> et vous avez fait sciences po ?<br /> n'importe qui y rentre !<br /> drôle d’être à côté de la plaque
Répondre
C
Mouais... Il se trouve que j'ai eu Jacques Généreux comme prof. Ca m'a fait rire de le voir candidat (certes son engagement politique était connu), mais si j'en crois l'extrait publié, il se prend toujours un peu pour un philosophe politique... :o)<br /> Je me rappelle en tout cas que (comme s'en vantait jadis Sartre avec humour) avoir des idées lui garantissait le succès auprès des filles!
Répondre